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La relación de Julio Verne con
la fe católica
Artículo de Marco Roncalli en Avvenire
en el centenario de su fallecimiento,
reproducido por Aldobrando Vals en
CRISTIANDAD, nº 886, mayo
de 2005, pág. 43
Jules Verne et Dieu
https://plumeschretiennes.com/2018/05/30/jules-verne-et-dieu/
Paraphrase du Psaume 130
Oh! mon Dieu, cest vers vous du profond de labîme
Que je mécrie, et que je pleure!
Écoutez; cest la voix de la triste victime,
Vers vous, le Seigneur des Seigneurs!
Rendez-moi, sil vous plaît, votre oreille attentive,
Entendez-moi dans tous les lieux,
La prière jamais ne fut intempestive
En montant au Seigneur des Cieux.
Ah! si vous mesurez votre sainte justice
A la grandeur de nos péchés,
Qui peut briser ses liens? Si vous nêtes propice
Par qui seront-ils détachés?
Qui pourrait subsister devant, votre présence?
Seigneur! Seigneur! écoutez-moi!
Si jai dans vos bontés placé mon espérance,
Cest à cause de votre loi.
Avec bien grands désirs je lattends; je confie
En vos paroles tout mon cur;
Vos promesses, mon Dieu, nous rendront à la vie!
Ô mon âme, attends le Seigneur!
Et que, depuis le soir jusquau jour qui commence,
Israël inclinant ses pleurs
Lève ses tristes mains, porte son espérance
Vers Dieu qui calme les douleurs;
Car le Seigneur est grand, et sa miséricorde.
Descendra pour nous racheter,
Et la grâce abondante quà nos curs il accorde,
Vers le ciel viendra nous hâter;
Il soulage Israël de la profonde peine
Qui lui faisait verser ses pleurs.
Israël chantera, délivré de sa chaîne,
Un hymne au Seigneur des Seigneurs.
Si Jules Verne na pas été un très fervent catholique, il était assez bon latiniste pour lire Virgile dans le texte, et à plus forte raison la Bible dans sa version de la Vulgate; cest donc plutôt avec le numéro 129 que le recueil de ses poésies répertorie cette paraphrase du De profundis (De profundis, clamavi ad te, Domine: des profondeurs, je criai vers toi, Seigneur), profondeurs qui dans lesprit de lauteur descendaient certainement jusques dans les abysses où le capitaine Nemo avait cherché à fuir la société des hommes. Les lecteurs de Lîle mystérieuse se rappellent peut-être aussi que pour garder sa place au télégraphe, afin dêtre le premier à pouvoir annoncer le résultat dune bataille, le reporter Gédéon Spilett se mit à télégraphier les deux premiers chapitres de la Bible: Au commencement Dieu et quil en coûta deux mille dollars à son journal, le New-York Herald!
Du survol de lensemble de son uvre ressort la certitude que Jules Verne croyait au Créateur, et la forte probabilité quil admettait aussi lhistoricité de lincarnation, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. Cet écrivain nest pas pour autant récupérable par des évangéliques complexés, toujours avides de pouvoir compter un people parmi eux. Marin et breton dans lâme, Verne est mort muni des sacrements de lÉglise, sans que personne puisse dire ce quil en était de sa paix avec Dieu. A-t-il seulement été en contact durant sa vie avec lévangélisme? Quelques indices présents dans ses ouvrages écrits suite à des voyages en Écosse et aux États Unis, laissent penser que ce fut le cas, mais que le prosélytisme anglo-saxon nétait guère de son goût.
Jules Verne est un géant littéraire, plus complexe que lopinion populaire ne se limagine; il serait vain de vouloir épuiser en quelques lignes les allusions et les influences religieuses sous-jacentes à son uvre; il est cependant possible dindiquer quelques grandes lignes destinées à dissiper un préjugé courant, et à mieux cerner cet auteur phénoménal. Lidée principale sera que Jules Verne est avant tout un créateur, et quà ce titre, comme dautres grands écrivains, il partage de manière involontaire ou inconsciente, un certain nombre de points communs avec le Créateur.
1) Un créateur est plus artiste que technicien.
A létranger, et notamment en Amérique, tout le monde est persuadé que Jules Verne a été le précurseur de la science-fiction, un chantre du progrès scientifique, ayant anticipé un certain nombre de nos inventions modernes. Image simplette et fausse de sa personnalité, doù des adaptations cinématographiques de ses romans en général nulles, et dépourvues de tout esprit vernien. La science na été pour cet homme de théâtre né, que loccasion fournie par le siècle pour écrire; mais elle ne lintéresse pas en elle-même.
Par défaut tout dabord: il na aucune formation scientifique, ses livres sont bourrés de fausses notions, que pourraient relever le moindre lycéen: durant tout le voyage de la terre à la lune, les trois occupants de lobus se retrouvent les pieds au plancher, sauf au point où lattraction terrestre et lunaire se compensent. Mais cest absurde, chacun sait aujourdhui quen phase balistique les astronautes sont constamment en état dapesanteur. Quant au canon qui permet de les lancer dans lespace, il croit quil suffit daugmenter la quantité de poudre et la longueur du fût, pour atteindre la vitesse de libération, ce qui est une autre absurdité. Du point de vue technologique, Verne na rien suggéré de nouveau: les sous-marins existaient déjà quand il écrit vingt-mille lieues sous les mers, la querelle entre le «plus léger que lair » et le «plus lourd que lair» battait son plein quand il compose Robur le conquérant, etc.
Par lucidité ensuite: Jules Verne était certainement fasciné, comme ses contemporains, par les nouvelles prouesses de la science, vapeur, électricité, chimie, etc.; et pourtant dans ses livres, les savants y sont presque toujours des personnages ridicules par leur côté outré, et leurs entreprises se terminent plutôt négativement; nul nest moins scientiste que lui. Poète, portant limage du Poète primordial, Jules Verne a compris que dans son essence la science nest que laveu de lignorance de lhomme, la démonstration de sa quête interminable pour acquérir une vérité qui lui échappe toujours. Le principe même de la méthode scientifique consistant à opérer par hypothèse, essai, puis correction, il serait complètement inapproprié de comparer Dieu à un grand scientifique ; Dieu est par contre le Poète par excellence, le Créateur qui nétudie pas son uvre pour la comprendre, parce quelle sort de lui ; tout sy agence naturellement et sans effort : les planètes y suivent leurs orbites sans rien connaître des équations différentielles, et les oiseaux y volent en ignorant tout des lois de laéronautique. Ce nest au contraire quau prix de nombreuses veilles et de pénibles cogitations que le scientifique acquiert une petite parcelle de savoir, qui finit souvent par le rendre pédant, fou ou même criminel ; cest pourquoi Verne, tout en faisant semblant de chanter les louanges de la science, la brocarde sans pitié. Remarquons que sil sétait intéressé à la théologie, il aurait probablement développé la même attitude moqueuse à légard des théologiens. Pas plus quon nimagine Dieu sabaissant à faire des expériences scientifiques, on ne le conçoit se posant des questions théologiques. Il ne sest pas trouvé un seul mot ampoulé en isme dans la bouche de Jésus-Christ : Ah, cest quil nétait pas systématicien, lui et quil navait pas lu Karl Barth.
Jules Verne a écrit en tout une centaine de romans, performance tout à fait remarquable (sans compter les pièces de théâtre), qui le classe avec les Hugo et les Balzac. Mais surtout ses personnages lui survivent, preuve quils contiennent sous leur apparente caricature, quelque vérité intemporelle ; cette abondance et cette solidité de luvre sont les marques dune similitude avec le Créateur. Son grand regret exprimé à la fin de sa vie était de se voir limité dans le public au rôle dun écrivain pour la jeunesse, au lieu dêtre reconnu pour ce quil se savait être : un artiste.
2) Un créateur cache toujours quelque chose dans son uvre.
Tous les verniens le savent : Hector Servadac, cest cadavres à lenvers, Michel Ardan cest Nadar, le photographe, Aristobulus Ursiclos, cest sourcil limpressionante liste des noms propres des personnages, et des localités des Voyages Extraordinaires, est remplie danagrammes, dallusions et de transpositions. Mais à quoi correspond cette manie de Verne de dissimuler dans son uvre des sens cachés et des ambiguïtés ? Cest un instinct hérité de Celui qui nous a créé à son image : La gloire de Dieu, cest de cacher les choses ; la gloire des rois, cest de sonder les choses. (Proverbes 25.2) Ce trait se retrouve chez tous les créateurs, depuis le réalisateur Hitchcock qui apparaît subrepticement et déguisé dans tous ses films, juquaux concepteurs modernes de logiciels, qui y cachent des easter eggs, combinaison de touches improbable, qui va faire apparaître un message secret.
Ceci dira-t-on ne fait que reculer la question : pourquoi Dieu cache-t-il les choses ? Il y a là une sorte de signature, une façon de dire : je nai rien laissé au hasard. Mais surtout, comme le signale Salomon dans son proverbe, Dieu cache les choses pour quon les trouve ! Ainsi le créateur humain qui sexprime en parabole, ou en allégorie, espère bien quun lecteur perspicace en devinera le sens, sinon pourquoi aurait-il pris la peine dune telle construction ? A cet égard nul roman de Verne nest plus exemplaire que lÎle Mystérieuse. Rappelons que le mystère de cette île, apparemment déserte, lorsque cinq naufragés y abordent en ballon, cest une puissance providentielle invisible, qui intervient toujours au moment fatidique où la vie de lun deux est en danger. Poussés par le besoin dexprimer leur reconnaissance, les cinq hommes se mettent à la recherche méthodique de leur bienfaiteur, et finissent par trouver le capitaine Nemo, qui les observait depuis le début. Ce roman est une parabole transparente de la condition humaine sur une terre où Dieu se cache, mais où sa bonté manifeste devrait nous pousser à le chercher.
La figure même du Sauveur nest pas absente du roman, puisque Cyrus Smith, lingénieur omniscient, à qui les quatre autres naufragés doivent leur survie par lampleur de son savoir et de son esprit pratique, est vraisemblablement lanagramme volontaire de Yesus Christ (après une rotation dun quart de tour de la lettre M, ce qui saccorderait assez avec les facéties un peu compliquées de Verne, voir ici). Le besoin de repentance et de rédemption y est personnifié par Aryton, ce forçat retrouvé sur lîle Tabor, et dont lhistoire remonte à celle des Enfants du Capitaine Grant : « Ah! sécria Cyrus Smith, te voilà donc redevenu homme, puisque tu pleures ! »
Cet instinct divin et humain, de se cacher afin dêtre trouvé ne constraste-t-il pas singulièrement avec le réflexe facebookien, qui poste à tout va les apparences, parce quil ne possède rien dautre ? En vérité, tu es un Dieu qui te caches, Dieu dIsraël, ô Sauveur ! sécriait Esaïe (45.15)
3) Un créateur est parfois prophète.
Considérer Jules Verne comme un prophète des temps modernes qui a prédit la technologie que nous utilisons quotidiennement nest quune rêverie enthousiaste sans fondement : lauteur nest jamais allé scientifiquement au-delà de ce quil pouvait lire dans les encyclopédies et les journaux des bibliothèques. Et cependant, il existe dans son uvre toute une série de coïncidences avec des faits postérieurs, qui laisse penser quà son insu, il a été doué dun certain don de prémonition. Peut-être faut-il y voir une ironie du Créateur, qui se plaît quelquefois à confondre des hommes trop sûrs deux-mêmes (ny a-t-il pas eu par exemple un roman intitulé The Wreck of the Titan qui parut 13 ans avant le naufrage du Titanic, et dont le parallèle avec la réalité de lévènement stupéfia ensuite lopinion ?) De luvre de Dieu elle-même, quil sagisse de lUnivers ou de lÉcriture, on oserait dire quelle ne peut pas sempêcher dêtre prophétique : les lois de la matière et de la vie comprennent virtuellement le développement du monde, la Genèse contient lApocalypse en germe, parce que lil de lArtiste transcende le temps, et embrasse tout dun seul regard. Aussi ne serait-il pas surprenant quil accorde à lhomme une petite part de ce pouvoir, que faute de mieux, nous résumons sous le terme vague dinspiration.
Citons une de ces surprenantes « prophéties » verniennes. Les premiers passagers à destination de la lune, sont au nombre de trois, enfermés dans un obus, qui a peu de chose près occupe le même volume que la capsule Apollo ; mais ceci nest encore rien : leur lieu de départ, là où fut coulé le grand canon, la Columbiad, se situe à quelques km de Cap Carnaveral, où décollera 104 ans plus tard la fusée Saturne V ! étonnant quand même Jules Verne na pas utilisé de boule de cristal : la lune ne passe au zénith que sous des latitudes inférieures à 28o, lécrivain a donc choisi la Floride, et les ingénieurs de la Nasa, le même endroit, mais pour une autre raison ; néanmoins la coïncidence est là
Afin que lon ne dise pas que tout cela est dépassé, voici encore quelques titres de romans, sujets à des rapprochements tout-à-fait actuels :
Concluons : On ne trouvera pas lÉvangile dans les romans de Jules Verne, car il ne sagit jamais de confondre le sacré et le profane. Mais Dieu se sert parfois du profane pour préparer lâme à recevoir une vérité sacrée. Par sa passion pour les beautés et les richesses infiniment variées du globe terrestre, par son empathie envers le besoin de fraternité universelle dune humanité à venir, par ses intuitions futuristes, on peut dire que luvre de Verne induit de remarquables mouvements positifs dans lesprit du lecteur, qui saccordent avec le christianisme. Et pour ceux qui trouveraient cette affirmation trop farfelue, ou trop humaniste, nous leur laisserons à méditer un parole du Seigneur, susceptible de plus dune application :
Nous vous avons joué de la flûte, et vous navez point dansé ; nous avons chanté des complaintes, et vous ne vous êtes point lamentés.